Cycle d’échanges entre paysan·nes en AMAP #6 : Faire vivre les solidarités en AMAP envers les paysan·nes

Cet échange a été organisé autour de la restitution des études menées en 2022 en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes sur les difficultés rencontrées par les fermes en AMAP et les conditions à la mise en place d’initiatives de solidarité.

Bruno Dumas, président de Solidarité Paysans Auvergne-Rhône-Alpes, a rappelé la multiplication des aléas et vulnérabilités qui touchent le milieu agricole depuis quelques années et les formes d’actions de Solidarités Paysans, qui intervient sur des difficultés d’ordre administratives, sociales, juridiques ou judiciaires. Olvier et Marie, stagiaires en Ile-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes, ont ensuite présenté les résultats de leurs études. En voici une synthèse :

ÉTAT DES LIEUX DES DIFFICULTÉS DES FERMES EN AMAP ET CONDITIONS DE MISE EN PLACE DES SOLIDARITÉS

Le modèle AMAP s’est développé pour renforcer la viabilité et la vivabilité de l’agriculture paysanne sur nos territoires et transformer notre rapport à l’alimentation en générant de nouvelles solidarités.

Face à la multiplication des crises (covid, inflation, augmentation des charges, variations de la consommation de produits bio, sécheresse, tempêtes etc.), l’agriculture paysanne et les AMAP sont mises à rude épreuve.

En 2022, le Réseau AMAP Auvergne-Rhône-Alpes et le Réseau AMAP Ile-de-France ont lancé une étude sur leurs territoires respectifs afin d’identifier les difficultés des fermes et les solidarités expérimentées en AMAP ainsi que leurs conditions de mise en place.

Face aux aléas rencontrés par les paysan·nes, quelles initiatives des AMAP ?

A. LA FREQUENCE ET LA PERCEPTION DES ALEAS RENCONTREES PAR LES PAYSAN·NES EN AMAP

On parle souvent d’aléas climatiques, sanitaires, de production de façon générale ; mais les aléas s’ils sont inhérents au métier comportent une part de hasard. Cependant, ils deviennent un risque lorsqu’ils sont associés à un degré de vulnérabilité.

Or le système agricole tel qu’il fonctionne aujourd’hui rend les fermes et les agriculteur·rices vulnérables. Une ferme fait face à une grande diversité d’événements ou d’aléas plus ou moins fréquents qui peuvent la mettre en difficulté. On constate que les amapien·nes ont souvent moins conscience que les paysan·nes de la fréquence des aléas.

L’enquête a permis de classer les aléas les plus fréquents sur les fermes en AMAP

  • Les aléas climatiques
  • Les problèmes techniques liés aux outils de production
  • Le manque de main d’œuvre
  • La baisse du nombre d’adhérent·es : A la différence des autres aléas, cette difficulté est plus fréquente pour les amapien·nes que pour les paysan·nes, ce qui peut s’expliquer par la charge de travail gérée par les bénévoles liée à la recherche de nouveaux membres.
  • L’impact des invasifs

D’autres aléas ou difficultés arrivent régulièrement mais de façon plus occasionnelle. Le questionnaire a permis d’identifier que ces trois difficultés étaient systématiquement sous-estimées par les amapien·nes

  • Les problèmes de santé physique ou psychique : On peut penser que les paysan·nes ne sont pas toujours en capacité de partager leur situation, ou encore, que les amapien·nes ne sont pas toujours réceptif·ves à ces échanges.
  • La gestion administrative de la ferme et le respect des normes : Moins visible et moins connue des amapien·nes, la charge administrative s’accroît lorsque la ferme est confrontée à d’autres difficultés comme un accident du travail.
  • Les difficultés d’écoulement des récoltes : Les amapien·nes pensent parfois que la baisse du nombre d’adhérent·es peut être compensée par une augmentation des ventes de la ferme dans ses autres débouchés.

D’autres aléas ou difficultés, moins fréquents, restent toutefois à noter

  • Les difficultés économiques (capacité à payer ses factures)
  • Les « choix de vie » ou l’évolution de la situation personnelle (grossesse, divorce etc.)
  • Les « problèmes avec les amapien·nes »
  • Les problèmes d’accès au foncier (acqui- sition, transmission, entretien des terres)

La fréquence d’un aléa n’est pas le seul facteur déterminant l’impact d’un aléa
sur une ferme. Certains aléas sont très fréquents (les invasifs par exemple), mais occasionnent moins de difficultés qu’un aléa occasionnel qui peut empêcher le bon fonctionnement de la ferme (accident du travail par exemple).

Face à la multiplication des crises, ces différents aléas et difficultés peuvent se cumuler et se renforcer ce qui peut mettre en péril la viabilité et la vivabilité du travail de paysan·nes.

B. LES INITIATIVES DE SOLIDARITÉ DANS LES PARTENARIATS AMAP

La majorité des témoignages ont tenu à revaloriser l’action solidaire des AMAP : l’AMAP est déjà une forme de solidarité, non seulement par le contrat, mais aussi par d’autres moyens. Reconsidérer l’action de l’AMAP, c’est ainsi reconnaître à la fois sa capacité d’adaptation, sa présence concrète et sa participation au soutien moral des paysan·nes.

  • De petites structures peu fondées sur la procédure : faiblesse ou atout de l’AMAP ?
    La plupart du temps, les AMAP ne disposent pas de procédures définies à suivre si un·e paysan·ne demande du soutien. Cela leur permet de faire preuve de polyvalence, d’inventivité et d’une forte capacité d’adaptation pour soutenir leurs paysan·nes, qui font peut-être la spécificité de la solidarité en AMAP.
  • Face à l’isolement en agriculture, être « là » : pas de procédures mais une vraie présence
    Contrairement à d’autres structures qui apparaissent plus lointaines, la force des AMAP réside aussi dans le fait d’être là, très concrètement. Alors, l’AMAP est peut-être cet acteur de première ligne, ce réseau de proximité, basé sur l’inter- connaissance, si nécessaire pour faire face à l’isolement et aux difficultés.
  • L’AMAP, un soutien moral fondamental
    La plupart des entretiens (ainsi que le questionnaire) ont souligné que la présence des AMAP apportait un soutien moral indéniable aux paysan·nes. Même si les actions sont parfois peu efficaces sur la réalité concrète et matérielle de la ferme, le soutien moral en AMAP répond au besoin d’accompagnement humain et améliore la vivabilité du travail paysan (rendre la situation humainement supportable dans le temps) et ainsi de la viabilité de la ferme.
  • Les compétences des amapien·nes dans les actions de solidarité
    Malgré un certain intérêt pour l’agriculture présent chez certain·es, la plupart des amapien·nes ne sont pas formé·es au travail agricole. Pour autant, les amapien·nes ont des compétences diverses et variées, parfois en lien avec leur métier, leurs loisirs et leurs expériences ce qui leur permet d’être créatif sur les formes de soutien à apporter.
  • Des possibilités de soutien approfondi, mais qui ne concernent pas la majorité
    Il existe bel et bien des formes de solidarité très approfondies et très engageantes, qui sont mises en place par certaines AMAP suffisamment structurées, par exemple les cagnottes solidaires (plus d’informations sur les outils financiers dans le livret).
  • Une solidarité plus faible pour les paysan·nes éleveur·euses, céréalier·ères, arboriculteur·rices etc.
    En Ile de France, l’enquête a mis en lumière que les paysan·nes non maraicher·ères (éleveur·euses, céréalier·ères, arboriculteur·rices etc.) ne bénéficient pas de la même solidarité que les maraicher·ères. Leurs contrats AMAP ne sont pas adaptés à leurs contraintes de production, fonctionnant bien souvent sur une logique de pré-commande de quantité de produits plutôt qu’un engagement sur une part de production variable en fonction des aléas. Les paysan·nes non maraicher·ères ont souvent l’impression de ne pas avoir une relation privilégiée avec les amapien·nes (pas d’aide pour décharger le camion, isolement lors de la distribution etc.) ce qui complique une mobilisation amapienne en cas d’aléas. Les spécificités des productions, notamment les contraintes sanitaires, rendent difficiles la mobilisation des amapien·nes pour des ateliers pédagogiques.

Les clés de réussite pour un partenariat solidaire entre paysan·nes et amapien·nes

A. PAROLE PAYSANNE / OREILLE AMAPIENNE ET REPRÉSENTATIONS

L’expression des problèmes des paysan·nes n’est pas simple, mais elle est une condition nécessaire à la mise en œuvre de pratiques de solidarité. Comment appréhender cette contradiction ? La plupart des amapien·nes soulignent que c’est surtout quand le besoin est exprimé directement par les paysan·nes que la mobilisation a lieu (« il faut que ça vienne de vous »). Ce n’est pas étonnant car l’interconnaissance et l’émotion sont deux ressorts de l’action collective : alors, quand quelqu’un que l’on connaît nous fait part d’une situation douloureuse qu’il·elle vit, cela donne davantage envie de se mobiliser.

  • Malheureusement, les situations difficiles ne sont pas toujours exprimées
    Être en difficulté est souvent source de mal-être et de manque de confiance qui compliquent encore davantage le fait de parler de soi et de ses problèmes. Les paysan·nes ont souvent souligné l’importance que l’AMAP vienne vers elle·eux. Néanmoins, la dimension intime freine à la fois les paysan·nes sur le fait de s’exprimer librement sur le sujet, et les amapien·nes d’aller vers les paysan·nes car ils·elles ont peur de s’immiscer dans leur intimité.
  • Des difficultés profondes mais souvent tues : comment parler ?
    Le fait d’admettre une difficulté sur la ferme fait aussi appel à une forme de fierté, mise à mal par l’aveu du problème. L’impression d’échec personnel, souvent évoquée dans les entretiens, est un frein supplémentaire à la libération de la parole. Enfin, le fait de ne pas s’exprimer naturellement sur les problèmes rencontrés naît aussi d’une difficulté à jauger si le mal-être est suffisant et donc légitime. Certains facteurs influent directement sur la facilité à exprimer ses difficultés : l’ancienneté dans le métier, les liens tissés en AMAP et le genre (ce sont souvent les paysannes qui vont parler aux amapien·nes, les paysans préférant éviter d’évoquer ce sujet).
  • « Le métier » et ses non-dits : en agriculture, une parole contrainte ?
    Plusieurs paysan·nes ont ainsi parlé d’une « culture paysanne » ou « fierté paysanne » pour évoquer la “culture de l’effort” et le tabou qui existe dans le milieu agricole concernant l’expression des difficultés rencontrées sur la ferme. Il faut faire face, sans se plaindre, quitte à minimiser les souffrances auxquelles on fait face.
  • Parler, mais à qui et avec quelle réaction ? Ce qui se joue au cœur de l’interaction
    Le premier pas est souvent le plus difficile à faire : on ne sait pas comment vont réagir les amapien·nes, ces personnes qui sont en quelque sorte à la fois des « client·es », des « patron·nes », mais aussi un entourage proche. Alors, pour faciliter ce premier pas, l’existence d’un·e interlocuteur·rice de confiance est fondamental, qu’il s’agisse d’un·e référent·e ou non. De plus, les expériences passées (vécues ou dont on a entendu parler) ont un fort impact sur l’envie de parler. C’est une question de confiance qui semble se jouer ici : et en quelques mots, en quelques gestes maladroits, le fil (très fin) du lien de confiance s’abîme.

B. FACE A LA DISTANCE GEOGRAPHIQUE ET AU MANQUE DE TEMPS, LES MOTIVATIONS DES AMAPIEN·NES ET PAYSAN·NES POUR AGIR

L’enquête a confirmé que certains facteurs « matériels » peuvent limiter la mise en place d’actions de solidarité (distance géographique, disponibilité en temps et compétences des amapien·nes). Face à ces freins matériels, l’organisation occasionnelle d’une journée à la ferme fait de ce temps un moment privilégié où les liens humains sont renforcés.
Paysan·nes et amapien·nes témoignent que c’est avant tout les motivations militantes de soutenir une autre forme d’agriculture et les motivations humaines et affectives qui permettent de mettre en place des initiatives de solidarité.
La solidarité dans les partenariats AMAP est aussi le fruit de motivations plus
individuelles résultant d’une logique d’interdépendance et d’un intérêt commun
 : avoir un meilleur panier, accéder à une aide extérieure peu coûteuse.

C. LES BONNES PRATIQUES DES AMAPIEN·NES ET DES PAYSAN·NES INDISPENSABLES POUR UNE SOLIDARITÉ EFFECTIVE

Pour que la solidarité soit effective, amapien·nes comme paysan·nes doivent
poser ensemble les bases d’un partenariat AMAP solide, engageant et sécurisant, autour du contrat AMAP. Il doit être pensé pour garantir la viabilité économique du partenariat (nombre de semaines de livraisons sur l’année, prix basé sur les coûts de production, nombre de paniers nécessaires, refinancement sans réajustement). Pour faire face aux aléas, le contenu du panier ou de la corbeille doit être pensé en part de production variable
pour laisser une flexibilité aux paysan·nes selon les récoltes. Enfin, il est indispensable que les différents éléments du contrat fassent l’objet
d’un échange entre le·la paysan·ne et les amapien·nes afin qu’ils correspondent à leurs attentes et besoins respectifs.

Au-delà des modalités du contrat, amapien·nes et paysan·nes doivent ensemble construire une relation de confiance basée sur la transparence et la communication. Ils·elles doivent partager clairement leurs attentes mais aussi avoir des représentations alignées sur les pratiques agricoles et les engagements AMAP. Idéalement, il faudrait avoir : une personne référente par paysan·ne, des temps dédiés d’échanges pour chaque partenariat, des
échanges informels lors des distributions, une communication régulière à tou·tes sur les nouvelles de la ferme ? etc.

Si l’étude a fait ressortir le besoin d’ouvrir des espaces de parole pour que la parole paysanne s’exprime, les échanges ont aussi montré la nécessité d’accompagner les référent·es et plus largement les amapien·nes à écouter les besoins des paysan·nes et à réagir. Si les situations douloureuses sont difficiles à exprimer, elles sont aussi difficiles à entendre et à prendre en charge. Des échanges avec l’association Solidarité Paysans, qui forme justement ses bénévoles sur ce sujet, ont abouti à l’idée de créer une dynamique commune autour de cet enjeu.

Les AMAP dans un monde complexe : comment renforcer la résilience de notre modèle face aux crises ?

Dans le mouvement des AMAP, l’idée d’un « désengagement » est assez présente. Les comportements consommateurs existaient déjà il y a vingt ans au début des AMAP. Cela n’empêche pas de maintenir une certaine vigilance, notamment dans un contexte de concurrence entre circuits courts, et de nécessaire renouvellement des collectifs AMAP.

En tout cas, ces études menées en AuRA et IDF ont souligné l’importance de (re)mettre la solidarité au cœur du modèle AMAP. La solidarité en AMAP revêt une dimension collective cruciale dans la mesure où elle répond à des enjeux systémiques. En d’autres termes, être solidaire en AMAP est un acte politique, ce n’est pas donner ou recevoir la charité, c’est prendre en charge collectivement la question de notre système agro-alimentaire en général.

Face aux crises sanitaires, climatiques et économiques, des débats s’ouvrent : faut-il flexibiliser ou consolider le modèle AMAP ? La question n’est évidemment pas tranchée ici, mais elle appelle à un véritable travail effectué à l’échelle des réseaux et du MIRAMAP : renforcer la résilience du modèle AMAP en travaillant sur les fondamentaux du partenariat et en admettant ses limites.

Pour aller plus loin

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