En juin dernier, 3 réseaux régionaux d’AMAP tiraient la sonnette d’alarme suite aux conditions climatiques du printemps et récentes intempéries aux conséquences ‘désastreuses’ sur les cultures de nombreuses fermes en AMAP, notamment en Ile de France et Hauts-de-France. Quelles sont les conséquences sur les cultures actuelles et à venir ? Comment les paysans vivent-ils ces situations, qui, dans certains cas, mettent en péril leur ferme ? Comment affronter ces difficultés ? Et dans de telles situations, comment faire vivre la solidarité et la coopération qui est au cœur du projet AMAP ?
Quelles conséquences des intempéries pour les paysans en AMAP ?
- Des cultures ravagées
Le 24 juin, la FAMAPP, Fédération des AMAP de Picardie, dresse un premier état des lieux très alarmant suite à un mois de mai le plus pluvieux de ces 60 dernières années : de nombreuses parcelles submergées ravageant l’essentiel des cultures en place, des sols gorgés d’eau rendant impossibles le désherbage ou la plantation, des légumes qui pourrissent, etc. Pour des éleveurs, les champs et prairies détrempés retardent les foins pour préparer l’hiver ou la sortie des bêtes. Les difficultés se cumulent avec la multiplication de nombreux ravageurs en terrain humide ou le développement de maladies telles que le mildiou, maladie redoutée des maraîchers reconnaissable par ses tâches brunes sur les feuilles et tiges.
En Ile-de-France et Nord Pas de Calais, la situation est tout aussi inquiétante. En Nord Pas de Calais, les ¾ des maraîchers sont touchés et environ ¼ vivent des situations vraiment difficiles avec des pertes de production très importantes (parfois une majorité de la production). Nous apprenons qu’en Lorraine, la situation pour les arboriculteurs est catastrophique et qu’en Haute Normandie, certains territoires ont été fortement touchés.
- De fortes inquiétudes pour l’avenir
Les équipes locales soulignent aussi la détresse que provoque la perte d’une récolte sur le moral des paysans : le sentiment d’impuissance et les fortes inquiétudes pour l’avenir. Et dans certains territoires comme en Picardie, l’entraide entre paysans pour d’éventuels échanges de légumes est quasi impossible car tous sont sinistrés. Comme le souligne la FAMAPP, c’est la période à laquelle les récoltes commencent habituellement à abonder, et c’est aussi une étape « clé pour le reste de la saison car c’est en ce moment que les maraîchers mettent en place les cultures pour l’hiver. »
Si les conséquences sur les cultures actuelles sont visibles (les images parlent d’elles-mêmes), l’avenir est, quant à lui, très incertain. Les conséquences des sinistres vécus cette année vont aussi se mesurer dans le temps : dès cet automne, cet hiver et pour certains dans les années à venir.
Des aides sont prévues par l’Etat ou la région, mais le montant de celles-ci restera sans doute minime comparativement aux dégâts subis. Les critères seront-ils adaptés aux fermes diversifiées livrant en AMAP ? Il faudra remplir certaines conditions et notamment être en capacité de chiffrer les pertes et dégâts.
Aujourd’hui, si c’est surtout dans la partie nord de la France que les dégâts sont les plus importants avec des impacts très différents selon les territoires, nous constatons que des fermes dans d’autres régions rencontrent aussi des difficultés. Le Réseau des AMAP Auvergne Rhône-Alpes nous informe que bien que les problèmes ne soient pas de la même ampleur sur leur territoire, certaines fermes ont subi des orages localisés avec des conséquences importantes sur les cultures venant aussi interroger la gestion des aléas climatiques en AMAP.
- Des conséquences sur les paniers à venir
Comme le précise l’Association des AMAP Nord Pas de Calais, les « conséquences se feront ressentir avec des retards au niveau des prochains paniers et des baisses de rendement pouvant être de 25% sont à prévoir pour l’été et l’hiver. Par ailleurs des légumes seront tout simplement absents ». La FAMAPP relaie l’inquiétude de maraîchers qui ne savent pas ce qu’ils vont pouvoir mettre dans les paniers AMAP. « La situation n’est pas simple, car elle est susceptible d’entraîner à la fois des incompréhensions chez les amapien-ne-s, des sentiments de découragement ou un malaise chez les paysans et une fragilisation des liens au sein des AMAP ».
Faire vivre la solidarité amapienne
- Construire des solutions collectives
Ces réseaux d’AMAP se mobilisent actuellement pour avoir une meilleure connaissance des difficultés des fermes touchées par ces intempéries et appellent les paysans et AMAP de leur territoire à contribuer à cet état des lieux. Comme le souligne le Réseau AMAP Ile de France : « De nombreuses AMAP ont déjà manifesté leur solidarité à l’égard des paysans franciliens. Beaucoup s’interrogent sur l’aide qu’elles peuvent apporter à leurs partenaires. »
En réponse, certains réseaux d’AMAP et leurs partenaires viennent d’ores et déjà en appui à des paysans dans les démarches administratives souvent complexes auprès des assurances ou d’administrations telles que la Direction Départementale des Territoires – permettant de demander une indemnisation des pertes au titre de calamité agricole, en cas de pertes occasionnées par des évènements météorologiques d’importance exceptionnelle contre lesquels aucune protection suffisante n’a pu être mise en œuvre (en savoir plus ici).
Tous ont multiplié les communications à destination des amapiens et paysans rappelant l’importance qu’a l’AMAP dans ces situations critiques pour faire vivre la solidarité – qui est au cœur du projet des AMAP. En effet la prise en compte équitable des risques et aléas liés à l’activité agricole est un des engagements fondamentaux des AMAP (‘Engagement économique’, Charte des AMAP, page 3). Dans l’article ‘Ethique – Les inondations, et après ?’, le réseau des AMAP Ile de France revient sur les valeurs fortes du partenariat AMAP que sont l’équité et la coopération et invite à la réflexion sur la non-violence.
- Des idées pour guider l’action
Il n’y a pas de réponse simple à ces situations complexes et chaque situation est différente. Voici quelques propositions d’actions à mettre en œuvre dans les AMAP et localement. Le Réseau Nord-Pas-de-Calais et la FAMAPP ont élaboré deux précieux outils d’aide à la gestion des aléas climatiques en AMAP autant à destination des amapiens que des paysans pour échanger, réfléchir et co-construire des solidarités.
⇨ informer, s’informer et décider ensemble
Les amapiens et paysans en AMAP sont fortement invités à dialoguer pour favoriser la compréhension mutuelle et penser les moyens d’être solidaires.
Comme le soulignent les guides, l’échange direct au-delà, du téléphone et des courriels, et la recherche collective de solutions en associant le plus grand nombre sont essentiels dans ces situations.
⇨ organiser une visite de ferme-état des lieux ou proposer des chantiers participatifs
⇨ Les 2 kits de gestion des aléas proposent des idées concrètes d’actions si vous êtes en phase de renouvellement d’adhérents et des leviers d’action pour faire face au manque de récolte.
Aller plus loin dans le soutien aux paysans : agir collectivement, et renforcer les coopérations en réseaux
- Comment aller plus loin dans le soutien aux paysans ?
Au-delà de la solidarité qui se met en œuvre dans chaque AMAP, c’est aussi en se rassemblant que peuvent se construire des solutions pérennes. L’organisation de rencontres entre AMAP d’un même territoire ou entre 1 paysan et ses AMAP partenaires permet de prendre des nouvelles des autres AMAP et paysans, échanger sur les situations vécues, enrichir les analyses et les solutions possibles à l’échelle d’un territoire et tisser des solidarités. « Être en réseau : une force » titrait la FAMAPP (guide de gestion des aléas, page 12) qui invite, comme d’autres réseaux, à l’organisation de rencontres interAMAP locales dès la rentrée et à s’associer aux projets collectifs que les réseaux portent.
- Les cagnottes solidaires, un outil supplémentaire pour financer autrement l’agriculture paysanne
C’est aussi dans cette démarche-là que, dès sa création, le Miramap a questionné les financements de l’agriculture. Dans l’ouvrage collectif que nous avons coordonné ‘Une autre finance pour une autre agriculture’ de nombreuses solutions sont proposées et notamment le développement de cagnottes solidaires.
En effet, en situation de crises telles que vivent certains paysans en AMAP en ce moment, des AMAP pourraient envisager le remboursement des amapiens via le compte de l’association, d’autres le versement de dons aux paysans partenaires. Ces pratiques sont vivement déconseillées compte tenu du cadre juridique dans lequel s’inscrit l’AMAP (association loi 1901 à but non lucratif). Par contre, il est possible d’envisager le prêt à taux 0 en suivant le modèle des cagnottes solidaires qui assure un cadre juridique adapté à cette activité de crédit très encadrée par la loi bancaire de 1984.
Aujourd’hui, c’est plus d’une quinzaine de cagnottes solidaires qui ont été créées par de nombreuses AMAP un peu partout en France.
- Porter haut et fort la voix des AMAP
Un groupe de travail inter-régional s’est réuni dernièrement pour dresser un premier état des lieux de la situation à l’échelle inter-régionale et mutualiser les idées et solutions mises en place par les AMAP et les réseaux d’AMAP. Il s’agit aujourd’hui de rendre accessibles ces réflexions et propositions à tous les paysans en AMAP et groupes d’amapiens qui rencontrent ces mêmes difficultés.
Dans ce type de situation, la recherche de solutions collectives et aussi l’affirmation du projet politique porté par le mouvement des AMAP, de ses valeurs, principes et engagements quotidiens autour du partenariat paysans-amapiens, sont plus que jamais indispensables pour assurer la pérennité des fermes.
Le Miramap vous donne rendez-vous dès la rentrée pour engager la mobilisation…
Magali Jacques, animatrice au Miramap, Laurent Marbot, paysan en AMAP, réseau AMAP Ile de France et Miramap