Agir pour une agriculture alternative
mouvement interregional des Amap
Accueil » Actualités » Actu des AMAP et des réseaux d’AMAP » Mais à quoi servent les réseaux d’AMAP et le MIRAMAP ? Dominique, amapien, prend la plume et partage son regard sur la question

Mais à quoi servent les réseaux d’AMAP et le MIRAMAP ? Dominique, amapien, prend la plume et partage son regard sur la question

Souvenirs d’enfance dans les champs en Normandie, regard intrigué sur le militantisme de son père paysan, détour avec la rencontre d’André Pochon (c’est qui ce monsieur ?) et les CETA dans les années 50 (hein ? Ah, les Centres d’Etude Technique Agricole), Dominique nous plonge dans l’intime et l’histoire agricole pour mieux nous partager sa perception du rôle des réseaux d’AMAP et en filigrane le sens de son engagement.
Une manière originale de répondre à celles et ceux qui s’interrogent sur la raison d’être et d’agir des réseaux d’AMAP.
Merci Dominique !

Mais à quoi servent les réseaux d’AMAP et le MIRAMAP ?

Voilà mon témoignage d’amapien, fils de paysan.

En cette période de déconfinement progressif, les balades en forêt de nouveau autorisées réveillent en moi de délicieuses réminiscences de mon enfance au grand air.

Mes parents, comme leurs propres parents et tous leurs frères et sœurs, étaient des petits paysans du Pays de Caux, entre Yvetot et Fécamp, en Normandie.
Nous, les enfants, participions évidemment aux travaux de la ferme, à notre retour de l’école et pendant les vacances, et j’en garde de bons souvenirs.
En mai commençait une période festive. Il y avait d’abord les fêtes de communion, qui étaient l’occasion de nous retrouver, entre cousins et cousines, à une table séparée de celle des adultes, où nous pouvions faire bombance et nous amuser ensemble.
En juin, alors qu’approchait l’été, nous préparions la fête de fin d’année de l’école pour la distribution des prix.
Toute la campagne embaumait alors le foin, car l’herbe et le trèfle avaient été fauchés et séchaient au soleil.
Le premier dimanche de juillet, c’était la fête du village, « l’Assemblée ».
L’école étant finie, nous allions plus souvent aux champs, voir les adultes travailler. On nous y confiait parfois des petits boulots.
Le fauchage était une tâche individuelle, ainsi que le passage de « l’éloqueteuse » ou du râteau-faneur pour décoller le foin du sol et en faciliter ainsi le séchage. Mais la récolte elle-même nécessitait de mettre en commun les moyens de plusieurs fermes, surtout au moment de l’engrangement. Il fallait une longue chaîne humaine pour se passer, à la fourche, les bottes de foin ou de trèfle depuis le chariot serré au plus près de la porte de la grange, jusqu’aux tréfonds du bâtiment sous les toits.
Cette mise en commun des moyens matériels et des forces humaines donnait une impression de puissance collective, qui grisait le gamin que j’étais. La récolte sur chaque parcelle était très rapide et on passait vite d’une ferme à une autre.
A la fin de juillet, après la fenaison, puis en août, venait le temps de la moisson, où nous assemblions en « villottes » puis en meules, les gerbes de blé, d’orge ou d’avoine produites au moyen de la faucheuse-lieuse. À la fin de l’été venait le battage des gerbes. Les sacs de grains étaient montés dans les greniers et les bottes de paille étaient entassées dans les granges et les greniers au-dessus des étables et des écuries.
Fin août, on fêtait la fin de la moisson entre toutes les fermes qui avaient travaillé ensemble, par un repas sur l’une d’entre elles, à tour de rôle. Dans notre patois cauchois, nous appelions ce repas le "Caoudé". De l’autre côté de la Seine, cette tradition existait aussi, ils l’appelaient la "Passée d’Août".
Mon père participait aussi, une fois par mois, à des réunions un peu mystérieuses pour nous, le soir après souper, quand nous étions couchés. C’étaient ses réunions de … CETA.

Les CETA (Centre d’Etude Technique Agricole) dans les années 1950

Mon père est maintenant décédé – je n’ai pas repris sa ferme, j’ai suivi une autre voie – et je n’ai malheureusement jamais pensé à l’interroger sur son vécu dans son CETA. Mais j’ai eu le bonheur, en 2010, d’assister à un débat entre un responsable de la FNSEA et André POCHON, un paysan breton né en 1931 qui s’exprimait sur les méthodes de l’« agriculture durable » : ce qui ressemble à une révolution ne fait que prôner le bon sens, le retour aux règles de base de l’agronomie, le rythme des saisons et le bien-être des animaux. Il raconte comment s’est fondé le premier Centre d’Etude Technique Agricole.

« Tout commence en 1947, par ce coup de génie de Bernard Poulain, un agriculteur de Seine-et-Oise (Yvelines) qui réunit dix-sept paysans pour former le premier Centre d’étude technique agricole (CETA). Ces dix-sept paysans se réunissaient une fois par mois pour analyser ensemble l’exploitation de l’un d’entre eux, mettre en commun leurs réussites, leurs échecs, leurs expériences... À la fin de la réunion, il était décidé de la date, du lieu et du sujet de la prochaine. Un technicien animait le groupe, un paysan se chargeait d’établir un compte-rendu précis de ce qui avait été observé et dit sur la ferme, en complétant par un rapport et par les discussions sur le sujet du jour. Puis ce compte-rendu était envoyé à la fédération départementale et à la fédération nationale des CETA. Tous les CETA de tous les cantons de France pouvaient alors puiser dans ces comptes-rendus…
La formule CETA fit rapidement « boule de neige ». En 1954, quand nous avons créé celui de Mûr-de-Bretagne/ Corlay, il eut le numéro 960 ! La campagne française en léthargie se réveillait. Les grands noms de la recherche scientifique s’intéressaient à cette innovation paysanne et la conjonction des chercheurs et de ces pionniers enclencha cette « révolution dans les campagnes françaises » chère à l’agronome René Dumont qui en sera l’un des artisans.
Alors tout jeune exploitant, j’ai été embarqué dans cette aventure extraordinaire. J’y ai donné le meilleur de moi-même, mais j’en ai reçu bien plus en retour. Passionnant ! C’était la soif de découvrir, de progresser vers des résultats inespérés quelques années auparavant, c’était la convivialité d’une équipe, la notoriété aussi, le sentiment d’être utiles, d’être pionniers d’un développement qui changeait notre condition sociale, nos conditions de vie et qui apportait la prospérité à la région. En quelques années, la production a triplé avec très peu de dépenses supplémentaires. Le revenu a suivi, et l’argent qui rentrait nous permettait d’agencer nos vieilles demeures de terre battue, sombres et froides : chacun avait désormais sa chambre avec du parquet (...) » Extrait de “Les sillons de la colère - la malbouffe n’est pas une fatalité” - 2001

J’avais enfin compris ce qu’étaient le CETA et les mystérieuses réunions où allait mon père. Je trouve admirable et enthousiasmant ce qu’ont fait nos aînés avec les CETA, cette volonté d’innover, d’inventer et tenter des solutions ; ce partage d’expérience exercé librement, par choix, à l’intérieur d’une profession souvent perçue et présentée comme individualiste et conservatrice. J’en ai pris de la graine.

Alors, quand un adhérent un peu provocateur de mon AMAP a cherché à taquiner des amapiennes qui venaient de s’engager dans le réseau régional IdF et au Miramap en disant : « Je n’ai pas bien compris la valeur ajoutée du Miramap ou d’Amap-IdF, si ce n’est d’alourdir le fonctionnement d’une asso locale... Il est vrai que je n’ai pas été formaté, heu ! "formé" par de telles structures ! », les éléments de réponse donnés pendant notre réunion ne m’ont pas paru suffisants. J’ai souhaité compléter l’argumentation en témoignant dans cette lettre d’info.
Chaque AMAP a pu se créer parce que des AMAP pionnières avaient ouvert la voie il y a maintenant 20 ans. En temps ordinaire, les réseaux régionaux qui se sont constitués depuis, aident à faire vivre et se développer notre système dans la construction des partenariats, l’aide à l’installation, la formation des responsables d’AMAP et des paysans en AMAP. Là, récemment, quand les contraintes dues à la crise de la Covid-19 ont stoppé de nombreuses activités, les AMAP locales ont questionné les réseaux régionaux et le MIRAMAP et, tous ensemble, nous avons décidé de continuer les livraisons en les adaptant aux règles sanitaires. Parallèlement les réseaux et le MIRAMAP, chacun à son niveau, ont demandé les autorisations administratives aux préfectures et au Ministère en partageant leurs informations. La grande majorité des AMAP ont pu continuer à fonctionner, prouvant la résistance aux crises de notre système basé sur la solidarité. Grâce aux liens et aux mutualisations habituelles dans le mouvement, le MIRAMAP a pu faire circuler rapidement les informations entre les régions.
Le reproche d’« alourdissement » du fonctionnement des AMAP serait juste si les réseaux régionaux et le MIRAMAP cherchaient à contrôler, à diriger d’en haut. Or, ce n’est pas ce que je perçois. Je sens plutôt une humilité, un désir d’aider, de se mettre au service des groupes et des fermes, avec peu de moyens.

« Oui, mais les AMAP qui ne cotisent pas à leur réseau régional, tout comme les réseaux régionaux qui n’adhèrent pas au MIRAMAP ont pu profiter comme les autres des résultats du bon travail des Réseaux et du MIRAMAP ! »
Eh oui, dans la vie on a le choix entre donner de sa personne, de ses ressources, pour défendre le bien commun et aider à faire advenir un futur meilleur... ou bien profiter des efforts et des luttes des autres, sans s’exposer.
Mais déjà, quand on a fait la démarche de s’inscrire dans une AMAP pour disposer de produits sains tout en sécurisant un paysan grâce au contrat passé avec lui, c’est un beau début !
Les efforts de tous, faits dans la bienveillance, à tous les niveaux, en vue du bien commun, sont les bienvenus !

Le Mouvement des AMAP est dans la lignée des militants paysans qui, dès les années 1950, ont contesté l’agriculture productiviste et qui se sont organisés en réseau dans toutes les régions pour partager leurs pratiques et expériences pour progresser dans le respect de l’environnement, du bien-être animal et de la santé de tous.

Dominique L, amapien à l’AMAP des Lilas (Seine Saint Denis)

Pour plus d’informations :
https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/andre-pochon-lempecheur-de-tourner-en-rond-4172589
https://www.agrobiosciences.org/IMG/pdf/pochon-32-35.pdf
Successeur du CETA, le CEDAPA (https://www.cedapa.com/) est créé en 1982 notamment par André POCHON. Le CEDAPA fait également partie du réseau national des CIVAM.

Vidéos

Abonnez-vous