Durée de validité des chèques : de quoi parle-t-on ?
Avec 13.1% des paiements hors espèces effectués par chèque, la France se classe sur le podium européen dans l’utilisation de ce moyen de paiement, ex-aequo avec Malte et derrière Chypre. Un usage qui déplaît, notamment aux banques, dans un contexte de dématérialisation de nos transactions. De là à vouloir le faire disparaître ?
En tout cas, le gouvernement semble décidé à revoir ses modalités d’usage : actuellement valable 1 an et 8 jours après sa signature, le chèque fait l’objet d’une proposition législative dans le cadre du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Le texte, en examen à l’Assemblée nationale cet été, proposait ainsi de réduire la durée de validité des chèques à 6 mois (Article 25-Titre IV- Sapin II) [1].
Mais c’était sans compter le retournement de situation suite aux vifs débats entre députés lors de la 2e séance du 28 septembre 2016. 10 des 18 députés présents (majorité absolue) ont alors voté l’amendement 195 rétablissant la durée de validité à un an [2] :
« Cet amendement vise à maintenir le délai de validité de douze mois pour les chèques et commande au Gouvernement un rapport sur l’avenir de la monnaie fiduciaire. »
L’article 25 de la loi Sapin II est donc désormais ainsi rédigé [3] :
« Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les enjeux liés à la monnaie fiduciaire à l’heure de la dématérialisation des moyens de paiement. »
Le texte sera examiné en deuxième lecture en novembre par les sénateurs.
Les termes du débat à l’assemblée nationale
Les échanges du 28 septembre, ont permis aux députés PCF, EELV, UDI ou encore LR, de pointer un certain nombre d’arguments contre le passage à 6 mois.
Outre le fait de demander une concertation large sur cette question, ils s’inquiètent d’une volonté manifeste de supprimer les chèques, avec les conséquences que cela peut avoir, et notamment au niveau de : la sécurité des transactions dans une perspective de tout numérique,
l’inégalité d’accès au numérique,
la restriction de la liberté individuelle de ceux qui « nourrissent une certaine suspicion » à l’égard des moyens de paiement numériques.
Ils pointent par ailleurs plusieurs situations dans lesquelles le passage d’une validité d’un an à six mois serait problématique : paiement par chèque des activités sportives et culturelles,
paiement par chèque pour un locataire pour des dépenses à venir,
dépôt de garantie, souvent annuel,
caution par chèque pour la réservation des chambres d’hôtes qui n’ont pas les moyens de disposer de terminaux de CB,
suppression de la souplesse permise par des délais d’encaissement de chèque négociés et difficulté de suivi de l’évolution du budget pour les ménages modestes,
difficultés pour les personnes âgées – et précaires – face au numérique.
Le gouvernement, par la voix du rapporteur de la loi, affirme quant-à lui que la proposition est le fruit d’une concertation avec l’ensemble des parties prenantes, concertation qui a conclu qu’ « une validité de plus de six mois présente plus d’inconvénients qu’une validité de six mois », sans préciser les inconvénients en question.
Est alors mis en avant : une gestion du budget par les ménages fragiles facilitée si les délais sont courts,
la perte de mémoire des paiements réalisés quand les délais sont longs,
la possibilité de réaliser des paiements différés par prélèvements,
les mesures qui pourront accompagner les personnes fragiles et la communication large à imaginer autour des moyens de paiements pour rassurer la population,
les solutions alternatives à imaginer pour les garanties (« faire deux chèques étalés dans le temps).
Et concrètement, pour les AMAP ?
Si les premiers échanges avec les AMAP au sujet des moyens de paiement en AMAP ont pu rappeler, une fois de plus, la diversité – et donc la richesse – des modes de fonctionnement des AMAP, il n’en reste pas moins une tendance générale : la plupart des amapiens payent l’intégralité de la saison lors de la signature du contrat, le plus souvent en plusieurs chèques qui seront encaissés au fil de l’année par le paysan partenaire. Ce fonctionnement permet à l’amapien de répartir le coût de son engagement sur l’année, au paysan de disposer d’entrées d’argents régulières et équilibrées, et le chèque non encore encaissé fonctionne comme une garantie pour le paysan et vient « sceller » l’engagement.
Si certains peuvent imaginer contourner cette réduction en antidatant ou en ne précisant pas de date sur les chèques, nous devons rappeler ici que dater un chèque est une obligation légale [4]. Et que « le chèque doit être daté du jour de sa rédaction : s’il est postdaté, l’émetteur encourt une amende égale à 6 % du montant du chèque (avec un minimum de 0,75 €) » .
Tout chèque est « payable à vue » : le fait que la date du chèque soit postdatée n’empêche aucunement l’encaissement du chèque. En revanche, cela constitue une fraude passible d’une amende si le chèque venait accidentellement à être encaissé avant la date inscrite par l’émetteur.
Et rajoutons qu’un chèque non daté ne peut être encaissé .
Une veille législative indispensable et un appel à la créativité des groupes
Dès juin, des membres du Miramap et des réseaux régionaux se sont saisis de la question pour commencer à interroger les pratiques actuelles en matière de paiement et de réfléchir à des alternatives si la réduction de la durée de validité, voire, à terme, la suppression totale des chèques, venaient à être entérinées. Si le vote de l’amendement le 28 septembre dernier et l’approche des élections présidentielles et législatives nous accorderont sans doute un délai, il ne faut pas pour autant se désintéresser du sujet.
Une veille législative attentive sera donc nécessaire dans les mois à venir, tandis qu’en parallèle, nous souhaitons lancer un travail avec les groupes AMAP et les paysans en AMAP pour, d’une part, disposer d’un état des lieux exhaustif des modalités de paiement actuelles en AMAP, et d’autre part, bénéficier de toutes les idées et de la créativité de chacun pour imaginer ce que pourrait être le paiement en AMAP d’ici quelques années, en fonction des différents scenarii (validité des chèques à 6 mois, suppression des chèques, etc.).
Si vous souhaitez d’ors et déjà vous exprimer sur ce sujet ou faire part de votre intérêt à suivre les échanges liés aux moyens de paiement en AMAP, merci de nous contacter.
Auteurs :
Mathilde Szalecki, chargée d’animation et de communication Réseau AMAP Ile de France et Magali Jacques, animatrice Miramap
Pour en savoir plus :
Médias :
« Les députés réduisent la validité des chèques de un an à six mois », Le Monde.fr avec AFP, 10 06 2016
« L’assemblée rétablit la durée de validité des chèques à un an contre le gouvernement », Le Monde.fr avec AFP, 29 09 2016
Comprendre les étapes d’élaboration d’une loi :
« Les étapes d’élaboration de la loi »
« La procédure législative »
Animation pour comprendre l’élaboration d’une loi