Décryptage [1].
François Fillon – Les Républicains (LR)
Le programme de François Fillon est sans aucune équivoque. Il est essentiellement dévoué à la promotion du "modèle agricole français". Ce modèle est pour le candidat le symbole d’une France puissante qui a conquis son indépendance alimentaire et qui exporte. Une France agricole qui, selon lui, est freinée par un surcroît de normes. François Fillon insiste fortement sur la réduction des normes et notamment l’arrêt des sur-transpositions de réglementation européennes. Il annonce qu’un grand nombre de normes seront abrogées par ordonnance dès son arrivée au pouvoir. Pourtant une grande partie de ces normes ont été mises en places pour protéger les Européens, les cours d’eau, l’air, la faune ou la flore. Ces "normes" sont dans beaucoup de cas une expression de la démocratie qui régule une activité économique ayant un impact important sur la vie de tous les citoyens.
Il semble donc assez surprenant que le candidat cède aux habituelles demandes des syndicats agricoles majoritaires et des lobbys de l’industrie chimique organisée, sur la réduction des normes environnementales. L’utilisation des ordonnances pour l’abrogation de ces normes pose en outre une vraie question démocratique. François Fillon va même jusqu’à demander la suppression du principe de précaution – qui interdit la majorité des OGM sur le sol de l’UE – et l’accélération des homologations de plusieurs pesticides.
Par ailleurs, le candidat Les Républicains souhaite promouvoir une « agriculture forte et conquérante » et généraliser l’ « agriculture 3.0 ». Au sein d’une ferme, il s’agit de tout piloter via des systèmes connectés intelligents. En guise d’illustration, cela se traduit par l’installation de systèmes d’imagerie satellite qui, parmi d’autres usages, permettent d’analyser la composition de la terre d’une ferme, de calculer précisément les doses d’azote et de pesticides qu’il convient d’ajouter aux cultures. Ces informations sont ensuite transmises au système d’information automatisé des tracteurs ou des drones agricoles, lesquels peuvent alors piloter l’opération en conséquence.
De telles techniques impliquent des montants d’investissement considérables qui seront évidemment excluant pour la majorité des paysan.ne.s. Une généralisation de ce modèle conduirait à une concentration du paysage agricole entre quelques grandes fermes usines. Le candidat propose d’ailleurs que l’argent public de la PAC soit utilisé pour accompagner ces investissements vers l’agriculture 3.0. Il propose également que les financements de la PAC soient utilisés pour la gestion des risques en cas d’aléas climatique ou économique. Ce choix est autant inquiétant que discutable. Plutôt que d’encourager les fermes à se diriger vers des modèles agro-écologiques paysans [2] , diversifiés, en circuits-courts, bien plus résilients, le candidat propose d’utiliser l’argent publique pour couvrir les risques climatiques et économiques inhérents aux modèles agricoles intensifs non diversifiés.
Que dit le candidat sur la Démocratie Alimentaire et la participation citoyenne à l’agriculture ?
François Fillon n’évoque pas la question de la démocratie alimentaire. Il n’a pas signé le manifeste de la campagne "Nous Produisons, Nous Mangeons, Nous Décidons !". La prise de décision sur les questions agricoles et alimentaires est absente de son programme.
Benoît Hamon – Parti Socialiste(PS)
Benoît Hamon inscrit son programme agricole dans une transition écologique. Le candidat PS souhaite investir dans l’agriculture biologique, l’agroécologie et dans le soutien à un mode de commercialisation basé sur les circuits-courts (AMAP, coopératives de producteurs, etc.). Il propose en outre de renégocier la PAC pour que davantage de fonds soient consacrés aux agriculteurs prêts à adopter le modèle agro-écologique. L’accès au foncier est également promu via une conservation accrue des terres et la modification des critères d’examen des dossiers de reprises des exploitations agricoles avec, encore ici, un souci de favoriser les projets en bio ou en agro-écologie [3].
Il ajoute vouloir agir sur les prix en instaurant un taux de TVA réduit pour les produits bio. Une mesure toutefois peu novatrice pour améliorer le revenu des paysan.ne.s et qui aurait sûrement moins d’effet qu’un réel développement des circuits alternatifs de commercialisation.
On note la volonté du candidat de définir un contrat social agriculture-société. Sa mesure phare sur l’instauration d’un revenu minimum universel apparaît à cet égard intéressante en matière de sécurisation économique des paysan.ne.s. S’il apparaît aujourd’hui difficile de se prononcer sur l’efficacité d’une telle mesure, les jalons d’un débat de fond sont désormais posés. Il reste toutefois un certain chemin à parcourir avant d’atteindre la sécurisation effective des paysan.ne.s.
Au niveau international, B. Hamon souhaite revendiquer une exception agricole en retirant le secteur agricole du champ de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une idée louable quand on sait que l’agriculture est devenue depuis les années 1990 une monnaie d’échange dans les négociations commerciales internationales (OMC, TAFTA, CETA...) au profit des autres secteurs économiques.
Enfin, le candidat veut interdire les perturbateurs endocriniens et remplacer les pesticides par des solutions alternatives – tout en refusant d’être dépendant des lobbies. Dans le même sens, il souhaite « sanctuariser le principe de précaution » pour prévenir contre l’arrivée de nouveaux OGM (cachés).
Que dit le candidat sur la Démocratie Alimentaire et la participation citoyenne à l’agriculture ?
Benoît Hamon a signé le manifeste de la campagne "Nous Produisons, Nous Mangeons, Nous Décidons !" et s’engage sur l’ensemble de nos revendications (voir le manifeste signé). Par ailleurs il affirme que la question de la gouvernance du monde agricole est centrale. A l’échelle nationale, le candidat PS appelle à l’organisation d’un Grenelle de l’Agriculture et de l’Alimentation. Il s’agit selon lui de repenser la place de l’agriculture au sein de notre société, et de « faire émerger des orientations agricoles durables » en associant davantage les citoyen.ne.s aux paysan.ne.s pour fonder cette nouvelle gouvernance.
Marine Le Pen – Front National (FN)
Le programme de la candidate du Front National en matière d’agriculture reprend de nombreuses idées des écologistes et parfois même du mouvement des AMAP (exercer le principe de précaution contre les OGM, développer les circuits courts, proposer des produits bio dans les cantines, .etc.). En parallèle de ces propositions, la candidate insiste sur la nécessité de maintenir un haut niveau d’exportation sur les produits agricoles dans le cadre d’un "projet national" de patriotisme économique – où la France sortirait de la PAC pour ériger une Politique Agricole Française. Ceci implique nécessairement un soutien fort au modèle agricole productiviste sur des grandes fermes ayant des vocations exportatrices. Ces deux directions sont tout à fait paradoxales.
Cette contradiction n’est ni dans l’intérêt des Français, ni dans celui des populations du reste du monde.
Cette agriculture exportatrice ne vise pas la mise en place de fermes ayant vocation à nourrir leurs voisins, mais plutôt d’unités de production visant à s’agrandir perpétuellement dans le but d’envoyer des produits à bas coûts partout dans le monde. L’impact pour les territoires ruraux de ce choix d’agriculture agro-exportatrice est énorme. Au-delà des subventions publiques gâchées, des dégâts sur l’environnement, de l’impact sur les paysages de nos campagnes, cette agriculture est catastrophique en termes d’emploi. Elle vide nos territoires et concentrent les populations dans les métropoles.
Par ailleurs à cause des subventions avant l’exportation des produits agricoles français ou européens, ces denrées arrivent facilement sur les marchés des pays dits « en développement ». Ils sont parfois moins chers que les produits locaux, provoquant ainsi la ruine des petits producteurs locaux, annihilant ainsi de nombreuses perspectives économiques pour les populations des pays les plus pauvres. Ces exportations contribuent donc à déstabiliser des pays pas si éloignés du continent européen [4].
Marine Le Pen propose en outre de modifier la fiscalité afin de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs. Une proposition ici encore peu convaincante dans la mesure où le premier frein à l’installation n’est pas la fiscalité mais bien le foncier et la transmission d’un paysan.ne à un.e autre. La question foncière est absente de son programme.
Par ailleurs le programme de la candidate du FN demeure globalement flou : rien n’est dit sur les pesticides, les perturbateurs endocriniens ou encore sur les OGM cachés. La candidate insiste fortement sur la réduction des normes et notamment l’arrêt des sur-transpositions de réglementation européennes. Une grande partie de ces normes sont mises en œuvre pour protéger les Européen.ne.s ainsi que leur environnement. Elles reflètent bien souvent l’expression de la volonté générale désirant réguler les activités économiques ayant un impact important sur la vie de tout un chacun.e. La candidate inscrit donc son programme en réponse aux habituelles demandes des syndicats agricoles majoritaires et des lobbys de l’industrie chimique organisée, sur la réduction des normes environnementales ou sanitaires.
Que dit la candidate sur la Démocratie Alimentaire et la participation citoyenne à l’agriculture ?
Marine Le Pen n’évoque pas la question de la démocratie alimentaire. La prise de décision sur les questions agricoles et alimentaires est absente de son programme.
Emmanuel Macron – En Marche
Le programme agricole du Candidat En Marche s’appuie sur un « Programme d’Investissement d’Avenir Agricole » de 5 milliards d’euros et sur une augmentation des aides du second pilier de la PAC de 200 millions. Bien que réaliste en termes de chiffrage, le premier paquet de 5 Mds est dénué de véritable vision pour l’agriculture. Il évoque vouloir utiliser une partie de ces investissements pour des projets ayant un impact positif sur l’environnement, le bien-être animal et des activités privilégiant les circuits-courts. Toutefois le candidat indique également que ce « Plan Marshall » servira à moderniser les exploitations sur des questions telles que la rénovation des bâtiments. Le contenu de ce plan Marshall semble à géométrie variable en fonction des déclarations du candidat. Tantôt l’agriculture biologique est privilégiée, tantôt l’agriculture intensive. Il est en tout cas très certain qu’Emmanuel Macron ne tranche pas en matière de modèle agricole. Il est regrettable qu’il ne perçoive pas encore l’urgence d’orienter très clairement les investissements agricoles principalement sur les modèles d’avenir : agro-écologie paysanne, agriculture biologique, agroforesterie, …
La proposition d’ajouter un deuxième paquet de 200 millions d’euros pour rémunérer les services environnementaux s’adresse quant à elle aux pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. Cette proposition peut aller dans le bon sens.
Le candidat insiste fortement sur la réduction des normes et notamment l’arrêt des sur-transpositions de réglementation européennes. Une grande partie de ces normes ont été mises en places pour protéger les Européens, les cours d’eau, l’air, la faune ou la flore. Ces "normes" sont dans beaucoup de cas une expression de la démocratie qui régule une activité économique ayant un impact important sur la vie de tous les citoyens. Il semble donc assez surprenant que le candidat cède aux habituelles demandes des syndicats agricoles majoritaires et des lobbys de l’industrie chimique organisée, sur la réduction des normes environnementales.
Nous notons la volonté d’Emmanuel Macron d’agir en matière de santé environnementale et plus précisément sur le remplacement des perturbateurs endocriniens. Le candidat souhaite également : « atteindre 50 % de produits biologiques, écologiques ou locaux » dans la restauration collective en 2022. Cet objectif louable, mériterait toutefois d’être accompagné d’une réflexion sur l’augmentation de l’offre en matière d’aliments bio et locaux et donc d’un plan spécifique visant à convertir des fermes ou en installer de nouvelles en agriculture biologique.
Que dit le candidat sur la Démocratie Alimentaire et la participation citoyenne à l’agriculture ?
Emmanuel Macron n’a pas signé le manifeste de la campagne "Nous Produisons, Nous Mangeons, Nous Décidons". Il a toutefois envoyé une lettre au Miramap indiquant qu’en matière de gouvernance, il prévoyait de lancer un Grenelle de l’alimentation au début du quinquennat. Il estime que les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) [5] permettront aux citoyens de se faire entendre sur les questions agricoles. Il ne s’engage absolument pas à faire évoluer la manière dont les décisions agricoles et alimentaires sont prises.
Jean-Luc Mélenchon – France Insoumise
Le candidat de la France Insoumise propose d’appliquer une loi de planification pour la transition écologique de l’agriculture déclinée sur cinq ans. Au niveau national, il propose d’engager une réforme agraire pour faciliter l’installation paysanne en agissant sur le foncier agricole, en favorisant les modes de commercialisation alternatifs (circuits-courts, vente directe) et en plafonnant les marges de la grande distribution. La transition agricole serait facilitée avec un accompagnement technique, socio-économique et financier, la formation initiale et continue des agriculteurs et l’animation de groupes d’expérimentation associant agriculteurs, organismes de développement et recherche, en s’appuyant notamment sur les structures existantes. L’installation paysanne est donc être bien prise en compte dans ce programme.
Sur la question des modèles agricoles, le candidat est clair sur sa volonté d’interdire les OGM, de sortir des pesticides, des projets de fermes-usines, des agro-carburants pour mieux développer une agriculture paysanne et biologique. Il souhaite mettre fin aux accords de libre-échange, et rénover la PAC pour garantir l’autosuffisance alimentaire, la relocalisation et une agriculture biologique et paysanne.
Toutefois, le candidat de la France Insoumise ne nous éclaire guère quant à la territorialisation de sa politique agricole, c’est-à-dire la déclinaison de sa transition écologique de l’agriculture à travers les différents échelons du territoire.
Que dit le candidat sur la Démocratie Alimentaire et la participation citoyenne à l’agriculture ?
France Insoumise a signé le manifeste de la campagne "Nous Produisons, Nous Mangeons, Nous Décidons" (voir leur signature et les autres réponses apportées). A travers de mesures concrètes, il propose notamment de mettre fin à la cogestion de la politique agricole « avec certaines organisations syndicales », et de réviser la gouvernance agricole. A cet égard il souhaite redéfinir les missions d’acteurs pivots de l’agriculture à l’instar des chambres d’agriculture qui se verraient assigner « exclusivement une mission de service public au service de la transition écologique de l’agriculture » et que leur gouvernance reflète l’ensemble des acteurs agricoles (agriculteurs, salariés agricoles, collectivités, associations, …), donc aller bien au-delà d’un système corporatiste contrôlé uniquement par les syndicats.
De la même manière, le candidat souhaite redéfinir les contours de la gestion du foncier, en substituant les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) par des Établissements Publics Fonciers Ruraux (EPFR) qui concentreraient leurs efforts sur la baisse du prix du foncier ainsi que sur une limitation de la concentration des terres.
POUR ALLER PLUS LOIN
Décryptage Le Monde des programmes agricoles des 11 candidats
Décryptage Reporterre des programmes agricoles des 11 candidats
Décryptage Greenpeace des programmes environnementaux des 11 candidats
Le Revenu universel d’existence, par Basta
Notes
[1] Ce décryptage reflète les positionnements du groupe de travail « Mobilisation » du Miramap. Il s’inscrit dans le cadre de la campagne nationale des AMAP « Nous produisons, nous mangeons, nous décidons ».
Seuls les programmes des cinq « principaux » candidats à la présidentielle ont fait l’objet d’une analyse. Un tel choix se justifie notamment par le manque de temps pour décrypter les six restants. Les lecteurs sont invités à se rendre en fin d’article dans la section « pour aller plus loin » s’ils souhaitent lire des analyses sur les six candidats non traités ici, à savoir N. Arthaud, F. Poutou, F. Asselineau, J. Cheminade, N. Dupont-Aignan et J. Lasalle.
[2] L’agroécologie est aujourd’hui devenue un mot-valise recouvrant différentes écoles de pensée. Nous faisons le choix de lui accoler le qualificatif « paysanne » afin de se différencier du modèle agroécologique exportateur et compétitif. Plus d’infos : http://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=2908
[3] Le candidat ne précise pas ici à quelle vision de l’agroécologie il se réfère. Voir note ci-dessus.
[4] Cette vision idéologique des intérêts de la France contre le reste du monde s’insère dans le concept de « souveraineté alimentaire » récupéré par le FN. Il se situe aux antipodes de l’idée de souveraineté alimentaire et des droits des peuples défendue par la Via Campesina et dans laquelle le Miramap s’inscrit.
[5] Pour plus d’infos : http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/1411_al_projalimterr_cle0d96a5_0.pdf